par | 29 Avr 2025 à 11:04

La résilience du corbeau : l’Aïnoussance s’invite sur le quai Jacques Chirac

La Maison de la culture du Japon à Paris balance un grand coup de vent d’Hokkaido en plein quinzième arrondissement. Depuis le 29 avril 2025, son espace d’exposition se change en glacière sensorielle : trente clichés de Lorraine Turci qui transforment la moquette parisienne en neige crissante, les néons de couloir en aube polaire. L’entrée est gratuite, les portes s’ouvrent du mardi au samedi (sauf les jours fériés parce que même les corbeaux ont droit à la sieste), et le show tient l’affiche jusqu’au 31 juillet. Trois mois pour laisser la banquise japonaise ronger votre routine métro-boulot-scroll-dodo.
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Des photos qui mordent l’hiver

Pas de cadres miroitants, pas de cartels bavards : juste la neige carnivore qui dévore forêts, volcans et fumerolles. Turci shoote au cœur de février, quand l’air se coupe au couteau de pêcheur et que la lumière rase les conifères comme un laser mal élevé. Les tirages, tirés grand format, étalent un contraste nerveux ; la poudreuse devient poussière d’étoiles, les silhouettes d’Aïnous se découpent comme des spectres, et les corbeaux—ces trolls célestes—balancent un regard de juge. Ici, chaque pixel sent la résine, la fumée de poêle, la morsure du gel ; impossible de liker distraitement, vos rétines encaissent chaque cliché comme un uppercut.

Hokkaido sous la glace et le silence

On balance souvent le mot « paysage » comme on vide une boîte de thon : vite fait, sans se salir. Hokkaido est tout sauf tiède : des côtes râpées par l’océan, des lacs fumants, des forêts à perte de vue, un volcanisme imprévisible qui fait passer le Vésuve pour un briquet défectueux. L’île, dernier rempart nord du Japon, fut longtemps le territoire de chasse et de pêche des Aïnous, peuple autochtone balayé, colonisé, invisibilisé pendant plus d’un siècle. Aujourd’hui, l’administration japonaise recense à peine 11 450 personnes identifiées comme telles ; les anthropologues, eux, parlent de 200 000 descendants qui masquent encore leurs racines pour éviter les vieilles discriminations. Le décor glacé de Turci rappelle que la nature, ici, n’est pas une carte postale : c’est une mémoire, un témoin et parfois un juge.

Identité aïnoue, mode survie hardcore

Pendant cent cinquante ans, le gouvernement nippon a pratiqué l’assimilation à la tronçonneuse : interdiction de langue, confiscation de terres, effacement des tatouages rituels, disparition forcée des mythes animistes. Résultat : une identité réduite en miettes, mais toujours brûlante sous la cendre. En 2019, une loi historique reconnaît enfin les Aïnous comme peuple indigène—victoire symbolique, maigre revanche économique. Turci choisit ce moment charnière : des anciens qui murmurent des contes d’ours-dieux, des ados qui riment en hip-hop aïnou, des artisanes qui réapprennent le tissage comme on répare une artère. La résilience n’est plus ce slogan LinkedIn qui promet la sérénité après un jus détox ; c’est du muscle, de la rage, un coup de hache dans la vitrine de l’oubli.

Side quests culturelles sur les quais

L’expo principale n’est qu’une mission parmi d’autres. La MCJP dégoupille un programme parallèle qui ferait rougir un distributeur de multiplex :

  • Du 2 mai au 28 juin, marathon ciné : deux pépites des fifties, trois documentaires seventies et trois films récents pour ceux qui pensent que l’histoire minoritaire se raconte toujours en 4/3.

  • Le 22 mai, Lorraine Turci sort de la chambre noire pour une rencontre à 18 h 30 : la photographe balance coulisses, galères et anecdotes de terrain.

  • Le 24 mai, conférence sur les toutes premières images aïnoues—celles qui sentent encore le collodion humide.

  • Le 7 juin, atelier découverte tissage aïnou : deux sessions, parfait pour apprendre à recoudre vos jeans troués ou vos identités effilochées.

  • Le 26 juin, démonstration de musique aïnoue : le tonkori (luth longiligne) dialogue avec le mukkuri (guimbarde espiègle).

  • Le 28 juin à 20 h, concert de OKI & Rekpo : cordes tribales, basse tellurique, batterie qui cogne plus fort qu’un klaxon sur le périph’. Billet à 16-20 euros, soit moins qu’un cocktail fade sur un rooftop hype.

Pourquoi ça claque, même pour les blasés

Paris déborde d’expos photo comme d’espresso tièdes : souvent jolies, rarement dérangeantes. La résilience du corbeau s’autorise la gifle. Les Aïnous ne posent pas pour la hype ; ils écrivent un manifeste de survie sous vos pupilles. Turci refuse la photo exotique : pas d’ornement fantasmé, pas de folklore cartonné. À la place, des visages fatigués mais incassables, des mains burinées qui tiennent un arc, des enfants qui testent un alphabet plus vieux que l’empire du Soleil levant. Vous ressortez avec les doigts gelés, la tête dense, et l’envie furieuse de remplacer votre feed pastel par un grand bol d’air piquant.

Notes de route et ego trip

J’ai traversé le montage en douce, encore imprégné de café douteux et de bourdonnements de périph’ ; j’ai senti l’odeur du bois brut, j’ai presque marché sur un câble, j’ai serré la main d’un technicien qui n’en avait rien à faire de mon pseudo d’écran. Mes propres racines bretonnes, diluées comme un pastis en cubi, se sont rappelées à moi en voyant ces visages qui refusent de s’excuser d’exister. L’identité, c’est un akita qui dort : réveille-le, il te rappellera ce que croquer signifie. Alors oui, je poserai mes oreilles au concert de OKI le 28 juin, parce que pleurer sous un riff de mukkuri a meilleur goût que de filer quarante euros à un bar à huîtres fluorescent.

Paris adore ce qui brille, mais ces temps-ci, la vraie lumière sort d’un corbeau en plein blizzard. Si tes rétines cherchent encore un endroit où la photo brûle autant qu’elle réchauffe, file au quai Jacques Chirac. Sinon, reste scotché à ton écran chauffant—la culture, elle, ne t’attendra pas.

Tom, rédacteur passionné chez ANousParis 🖋️. Je couvre toute l'actu parisienne - culture, événements, et tendances de la Ville Lumière! 🗼