Des dialogues comme des uppercuts
Bertrand Blier, c’était une écriture au couteau, aiguisée et provocatrice. Ses répliques ? Des bombes à fragmentation verbales, balancées avec la désinvolture d’un anarchiste qui aurait lu trop de Céline. “Les Valseuses”, son chef-d’œuvre de 1974, incarne à lui seul ce style : brut, cru, mais jamais gratuit. Si Gérard Depardieu et Patrick Dewaere y volent des voitures et des cœurs comme d’autres voleraient des bonbons, c’est parce que Blier comprenait une chose essentielle : l’ennui, c’est pire que la prison.
C’est ce même Blier qui, dans “Buffet froid”, fait de l’absurde une arme de destruction massive. Des dialogues qui jonglent entre l’humour noir et une lucidité glaçante sur la solitude moderne. À croire que ce type voyait le monde avec les lunettes d’un clown triste et le cœur d’un punk.
Une esthétique à contre-courant
Là où d’autres filmaient la bourgeoisie parisienne comme si chaque rideau de soie était un personnage à part entière, Blier préférait les recoins sombres, les hôtels miteux, et les trottoirs tachés. Mais il ne s’arrêtait pas là : ses plans étaient pensés comme des tableaux surréalistes, rappelant parfois les toiles de Magritte ou les délires visuels de Buñuel.
Et puis, il y avait cette obsession pour les corps. Pas les corps parfaits des publicités Dior, mais des corps vrais, imparfaits, grotesques parfois. Comme s’il voulait rappeler à son public que la beauté réside dans la vérité, aussi sale ou inconfortable soit-elle. Ça, c’est du cinéma qui transpire la vie.
Le féminisme, mais version Blier
Alors oui, il y a un débat éternel autour de son traitement des femmes. Certains le qualifient de misogyne, d’autres de féministe incompris. Peut-être que la vérité est entre les deux. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il a offert à ses actrices des rôles aussi puissants que dérangeants. Miou-Miou, Carole Bouquet, Josiane Balasko : des femmes libres, insoumises, mais jamais figées dans une vision binaire.
Et si vous êtes choqué(e) par la manière dont il dépeint les relations hommes-femmes, c’est peut-être précisément parce qu’il voulait ça : nous mettre face à nos propres contradictions.
Blier et la France qui ose
Blier incarnait une époque où l’art osait tout, quitte à froisser les sensibilités. Une époque où le cinéma était un champ de bataille intellectuel et non un concours de courbettes aux Oscars. On pourrait dire que son héritage est une gifle magistrale à une société qui, aujourd’hui, semble parfois trop polie pour être honnête.
Dans un monde où les polémiques culturelles naissent d’un tweet mal digéré, imaginer Blier en 2025 est presque drôle. Le type aurait probablement pris un malin plaisir à dynamiter les réseaux sociaux avec une seule phrase bien sentie.
Ce qu’il reste à sauver
Alors voilà, Bertrand Blier n’est plus. Mais ses films, eux, restent là, bien accrochés dans la rétine de ceux qui refusent le cinéma formaté. Sa disparition, c’est une invitation à replonger dans une œuvre qui parle à ceux qui n’ont pas peur de rire jaune, d’être dérangés ou même un peu heurtés.
Et si vous n’avez jamais vu “Les Valseuses”, “Buffet froid”, ou “Tenue de soirée”, c’est peut-être le moment de découvrir que le génie peut aussi être sale, drôle et infiniment libre. Merci, Bertrand, pour cette insolence devenue si rare.