des œuvres comme des poèmes muets
La rencontre de Rondinone, artiste suisse d’envergure internationale, avec l’univers poétique et engagé de Tarek Lakhrissi ne pouvait que donner naissance à une exposition dense, à la fois brute et sophistiquée. Rondinone, reconnu pour ses sculptures imposantes et ses installations qui jouent avec la nature des émotions humaines, semble vouloir nous entraîner dans un voyage introspectif, où chaque œuvre impose une pause, un souffle, une réflexion. Son travail est de ceux qu’on ne comprend pas tout de suite, et peut-être est-ce justement là son génie : il nous laisse avec plus de questions que de réponses.
D’un autre côté, Tarek Lakhrissi, jeune artiste à la plume acérée, injecte dans cette exposition un sentiment d’urgence. Son travail, empreint de résonances politiques, ne craint pas de confronter les normes. Son installation frappe fort, et bien que silencieuse, elle crie des vérités que beaucoup préfèrent étouffer. Dans un monde où tout est prompt à être consommé et oublié, Lakhrissi rappelle que l’art peut être une arme, une voix.
le dialogue entre des artistes de générations opposées
Rondinone et Lakhrissi sont à première vue des opposés complets. Le premier, une figure établie, ayant côtoyé le gotha artistique mondial ; le second, l’incarnation de la jeunesse contemporaine, explorant des thèmes brûlants et intimes. Pourtant, leur œuvre se rencontre et se complète dans cette galerie parisienne, où Reiffers Art Initiatives semble jouer le rôle de médiateur d’un dialogue générationnel. Rondinone, en représentant d’une génération qui a vu le monde se transformer, apporte une perspective d’expérience et d’apaisement. Lakhrissi, lui, incarne l’urgence d’une jeunesse en quête de justice, de reconnaissance et d’un espace pour exister.
On pourrait dire que cette exposition ressemble à un dialogue, une conversation imagée qui parle au-delà des mots. En les confrontant, l’exposition reflète la tension entre une sérénité construite par le temps et la fougue de l’inédit. Une sorte de ballet silencieux, où les sculptures deviennent les personnages muets d’une pièce à la Samuel Beckett, et les installations vidéo de Lakhrissi prennent des airs de manifeste moderne.
immersion dans un univers à la fois sombre et lumineux
Ce qui frappe dans cette exposition, c’est l’habile mélange de lumière et d’ombre, au propre comme au figuré. Rondinone, avec ses œuvres d’une sobriété presque méditative, et Lakhrissi, avec ses installations plus provocantes, nous plongent dans des atmosphères opposées mais complémentaires. C’est un peu comme si on était invité dans l’atelier de David Lynch : un mélange de douceur et de brutalité, une beauté saisissante dans des réalités qui peuvent déranger.
Parmi les pièces présentées, certaines installations frappent particulièrement. Rondinone déploie une série de sculptures monumentales qui, par leur texture et leur volume, semblent être les témoins de quelque chose d’intangible, une émotion ou une idée qui prend forme dans le silence. Lakhrissi, quant à lui, fait parler le métal et le verre. Sa façon de manipuler ces matériaux froids et tranchants en contraste avec la chaleur humaine de son propos est saisissante. Il n’est pas ici question de simple décoration : chaque pièce est un coup, une question posée au spectateur, qui quitte la salle avec une impression étrange de dépaysement.
la poésie comme outil de résistance
Dans cette ère où la consommation rapide d’images a presque étouffé la contemplation, Rondinone et Lakhrissi nous rappellent que l’art peut et doit être un espace de résistance. La poésie de leurs œuvres nous incite à ralentir, à repenser notre manière de voir le monde. Comme une protestation silencieuse contre l’effervescence actuelle, l’exposition devient un acte politique, une manière de dire non à l’éphémère et oui à l’essentiel.
L’art ici n’est pas juste beau, il est nécessaire, vital, en ce qu’il réveille des sensibilités peut-être enfouies. Cette exposition n’est pas pour ceux qui cherchent du divertissement, mais pour ceux qui acceptent de remettre en question leur perception. Rondinone et Lakhrissi ne nous demandent pas d’aimer leurs œuvres, mais d’écouter ce qu’elles ont à dire.