Ce jeudi, les psychologues se sont mobilisés devant le ministère de la Santé pour faire entendre leurs revendications. On est allés à leur rencontre : “On est vraiment au bout de l’hôpital public”.
Grève des psychologues : « J’ai un collègue qui est le référent de 500 patients »
Le 23 mai dernier, une journée nationale de grève et de mobilisation des psychologues était organisée. À Paris, les professionnels affiliés à la Confédération générale du travail (CGT) se sont réunis devant le ministère de la Santé. Leur objectif : dénoncer le manque criant d’effectifs dans les services publics, lesquels offrent des consultations à une population particulièrement vulnérable.
Sur place, c’était un cocktail explosif de drapeaux rouges CGT, d’enceintes crachant le tube « Résiste » de France Gall, et de discussions passionnées entre quelques dizaines de psychologues. Le décor est planté. C’est le cri de révolte des professionnels étouffés par des conditions de travail déplorables, un énième rassemblement pour réclamer des moyens décents.
« Plus de la moitié des centres médico-psychologiques ne reçoivent plus de nouveaux patients, car ils sont trop embolisés », déclare Isabelle Seff, psychologue à Toulouse. Une situation désastreuse qu’elle connaît bien, animant le collectif des psychologues de l’Union fédérale Médecins, ingénieurs, cadres, techniciens (UFMICT) à la CGT. Les listes d’attente s’allongent dangereusement. « J’ai un collègue qui travaille dans la protection de l’enfance et qui est le référent de 500 gamins. Impossible de travailler correctement au-delà de vingt enfants suivis », ajoute Corinne Bouzat, psychologue dans les Pyrénées-Orientales.
Des soins bâclés, des vies en jeu
Les témoignages sont édifiants. Nathalie, psychologue clinicienne dans les Yvelines, raconte avoir dû arrêter les psychothérapies individuelles pour des enfants psychotiques et autistes. « Ils avaient besoin de soins hebdomadaires, mais ça coûtait apparemment trop cher… ». Une autre psychologue, refusant de plier, déclare désobéir aux consignes visant à réduire les psychothérapies.
La pression est énorme. Burn-out, dépressions parmi les soignants. Pourtant, l’utilité des soins de psychologie dans les services publics est cruciale, notamment pour les 18-24 ans, dont les pensées suicidaires ont doublé depuis 2014. « Contrairement aux psychologues en libéral, nous allons vers les patients. La plupart des gens que je vois n’iraient jamais consulter d’eux-mêmes », explique Patricia, psychologue clinicienne.
« Mon soutien psy » : un coup de pouce ou un pansement sur une jambe de bois ?
Le dispositif « Mon soutien psy », lancé en 2022, permet d’accéder à 8 séances remboursées par l’Assurance-maladie et les complémentaires santé. Gabriel Attal annonce une réforme : 12 séances remboursées à 50 € chacune à partir de juin, sans passer par un médecin généraliste. Mais les psychologues restent sceptiques. « Qui peut prévoir que quelqu’un ira mieux au bout de 8 séances ? », interroge Corinne Bouzat.
Des salaires gelés depuis 1991
Autre point de tension : la rémunération. « Dans la fonction hospitalière, la grille de salaire n’a presque pas évolué depuis 1991. Aujourd’hui, un psychologue débutant y est payé 1 700 €. C’est moins qu’une infirmière », souligne Isabelle Seff.
Une proposition de loi visant à créer un ordre professionnel pour les psychologues, déposée le 2 mai 2024, est également sur le banc des accusés. Majoritairement rejetée par les syndicats, elle est perçue comme une tentative d’imposer des « bonnes pratiques » arbitraires. « Il s’agit d’une tentative de nous mettre en position de subordination par rapport au médical », affirme Isabelle Seff.
« Service public, pas service marchand ! »
Le mot d’ordre est clair : « Service public, pas service marchand ! ». Nathalie, arborant fièrement son badge, conclut en disant : « Depuis 15 ans, on détruit le travail institutionnel. Notre revendication se résume très facilement. » Les psychologues ne veulent pas être réduits à de simples exécutants mais souhaitent être reconnus comme des cadres à part entière. C’est une lutte pour leur dignité, mais surtout pour celle de leurs patients.
Et là, au milieu de cette foule déterminée, j’ai vu une vérité brute : ce combat ne fait que commencer. Les psychologues ne lâcheront rien, car au bout du compte, il en va de la santé mentale de toute une société. Et ça, ça n’a pas de prix.