Générations sacrifiées
En 2003, décrocher les clés d’un 40 m² intra-muros exigeait 42 047 € bruts par an, soit environ 3 500 € mensuels. Déjà salé, mais restait une lueur d’espoir pour les jeunes cadres du IXe qui carburaient au café filtre. Avance rapide : 2023 réclame 97 490 € bruts annuels, soit un salaire de 8 116 € par mois. Bilan : +132 % sur la fiche de paie à fournir – autant dire que l’inflation a bouffé ta jeunesse et ton Livret A en prime.
Pendant que les revenus minima grimpent façon SpaceX, les salaires médians, eux, progressent au pas de sénateur. En Île-de-France, le net médian plafonne à 2 640 € en 2023. Autrement dit : la moitié des salariés franciliens se font littéralement larguer par le marché.
Prix en apesanteur
Les agents immo aiment raconter que « Paris ne baisse jamais ». Ils ont, hélas, globalement raison. On est passé d’un modeste 4 300 €/m² au début des années 2000 à 10 090 €/m² au troisième trimestre 2023 selon la Chambre des notaires. +134 %, et encore, c’est la moyenne : le VIe tutoie les 15 000 €/m² comme si de rien n’était.
Pourquoi cette claque ? Offre figée, investisseurs gourmands, Airbnbisation galopante, et surtout ces taux d’intérêt ridiculement bas des années 2010 qui ont transformé l’appartement parisien en bitcoin de grand-mère. Bref, la ville a gonflé comme un croissant dans un four trop chaud – sauf qu’ici, personne ne retombe.
2025, la pause sous anxiolytiques
Printemps 2025 : « bonne nouvelle », disent les notaires – les prix flottent autour de 9 500 €/m² et la baisse s’essouffle. Traduction : le patient ne saigne plus, mais il reste en réa. Les études parlent d’une hausse annuelle timide de +1 %, tandis que l’indice sur un an reste à -3 %. Paris joue à la montagne russe… coincée en haut du loop.
Côté crédit, la perfusion est un poil moins toxique : 2,99 % sur 25 ans et 2,89 % sur 20 ans pour les meilleurs dossiers au 1ᵉʳ avril 2025, d’après le baromètre CAFPI. Mais la fête a duré quinze mois seulement : avril signe déjà un micro-rebond des taux. Retour du coup de pied de l’âne.
Crédit, l’illusion reload
Oui, les taux ont dégonflé, mais pas autant que l’affiche publicitaire. Sur un prêt de 400 000 € (le prix moyen du fameux 40 m²), la mensualité reste plantée autour de 1 900 € hors assurance. Le HCSF exige toujours sa dîme : 35 % d’endettement max. Résultat : à moins de 5 400 € nets mensuels (bonjour la double paie d’ingénieurs / juristes), le banquier te regardera comme si tu demandais un shot de tequila au catéchisme. Les autres ? « Revoyez-nous avec 100 k€ d’apport ou l’héritage de mamie ».
Pourquoi certains lèvent le camp
Le plus ironique : pendant que Paris joue au Monopoly version dark, des villes longtemps snobées – Lille, Rennes, même la banlieue proche – deviennent les nouveaux terrains de jeu hype. Là-bas, ton smic amélioré te file encore un séjour avec cuisine séparée. Les 30 minutes supplémentaires de RER se troquent contre une terrasse et un foie qui ne pleure plus à chaque virement de loyer.
Ajoute à ça la génération télé-travail, le Covid qui a prouvé qu’on peut bosser en charentaises, et tu obtiens l’exode urbain le plus stylé depuis que les hipsters ont envahi Pantin.
Mon verdict sans filtre
Paris restera Paris – lumière, culture, restos qui facturent 9 € le café-croissant. Mais l’illusion romantique d’un premier achat dans l’intra-muros est morte sous les pavés. Aujourd’hui, te payer un appart, c’est soit :
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Avoir un double CDI premium et un apport qui ferait rougir Bernard Arnault ;
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Espérer un héritage, un jackpot crypto, ou épouser à droite de l’échiquier socio-économique ;
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Ou admettre que le rêve parisien s’habite mieux à Montreuil, Ivry ou… Prague (les bières y coûtent moins cher que le thermoplongeur de ton studio du XIe).
Personnellement, ma stratégie ? J’affûte mon regard d’investisseur raisonnable : acheter la baisse, louer le centre. Je savoure la Ville lumière par intermittence, à la nuit tombée, quand les loyers – et les chats – sont gris. Et si d’aventure le marché retombe vraiment, je foncerai, carnet de chèques à la main, comme tout bon vautour capitaliste assumé. En attendant, je regarde les annonces… depuis le 9ᵉ sans ascenseur d’un pote.