L’éclair : nomination et démission en 27 jours
Le 9 septembre 2025, Emmanuel Macron nomme Sébastien Lecornu Premier ministre, succédant à François Bayrou, renversé par un vote de défiance à l’Assemblée nationale. L’objectif était clair : ramener la stabilité dans un contexte parlementaire fracturé et redonner une direction politique à un exécutif affaibli. Mais moins d’un mois plus tard, le 6 octobre 2025, le gouvernement Lecornu tombe à son tour. Une démission rapide, presque fulgurante, qui marque l’un des mandats les plus courts de la Cinquième République.
En seulement vingt-sept jours, la France aura connu trois gouvernements successifs. Une instabilité rare qui traduit les tensions croissantes au sein de la majorité présidentielle et l’impossibilité de construire un consensus solide. Dès sa nomination, Sébastien Lecornu était présenté comme un profil de compromis : un ministre loyal, expérimenté, capable de dialoguer avec la droite tout en conservant la confiance de l’Élysée. Pourtant, son court passage à Matignon n’aura été qu’un épisode transitoire, vite rattrapé par la réalité politique.
Une Assemblée nationale plus divisée que jamais
Le contexte dans lequel Lecornu prend ses fonctions est explosif. L’Assemblée nationale est fragmentée, aucune majorité absolue ne se dégage. Le gouvernement Bayrou venait de tomber après avoir perdu un vote de confiance massif : 364 voix contre, 194 pour. Les équilibres parlementaires sont minces, les alliances fragiles, les ambitions nombreuses. Dans ce climat, chaque décision devient un champ de bataille.
Lecornu tente d’abord de bâtir une coalition élargie, un « socle commun » associant Renaissance, MoDem, Horizons et Les Républicains. Mais la droite conditionne son soutien à des concessions budgétaires importantes. De leur côté, les socialistes et les écologistes réclament une inflexion plus sociale et un moratoire sur les coupes dans les dépenses publiques. Le Premier ministre se retrouve alors à devoir arbitrer entre des positions inconciliables.
La motion de censure déposée par la gauche dès la troisième semaine de septembre finit de fragiliser l’équilibre du gouvernement. Même au sein de la majorité, certains députés commencent à évoquer la possibilité d’un changement de stratégie. Le socle de confiance se fissure, et la chute devient inévitable.
Des débuts prudents et des annonces trop fragiles
À son arrivée à Matignon, Sébastien Lecornu promet un changement de méthode. Il veut faire de son gouvernement un espace de dialogue, de travail et de sobriété politique. Son discours de nomination met l’accent sur la transparence, la responsabilité budgétaire et la reconstruction du lien entre les citoyens et l’État.
Dans les faits, ses premières annonces restent modestes. Il renonce rapidement à la mesure controversée de suppression d’un jour férié, héritée de la période Bayrou. Il s’engage aussi à une refonte des budgets publics, promettant de limiter la dette sans toucher aux prestations sociales. Son ambition : prouver qu’il est possible d’être rigoureux sans être brutal. Mais ses marges de manœuvre sont trop faibles. Le cadre imposé par le ministère des Finances est rigide, et les tensions politiques ne lui laissent aucune respiration.
Malgré cela, Lecornu affiche une volonté de concertation. Il rencontre les dirigeants des principaux partis, reçoit les syndicats et annonce une « conférence de méthode » sur la fiscalité locale et les dépenses de santé. Ces signaux d’ouverture séduisent une partie de l’opinion, mais restent sans impact concret dans l’hémicycle.
L’opposition et la rue : une double pression constante
Pendant que Lecornu tente de consolider son gouvernement, la contestation monte. Le 2 octobre 2025, une vaste mobilisation nationale réunit plusieurs centaines de milliers de manifestants. Les syndicats protestent contre la politique d’austérité budgétaire envisagée par Bercy et dénoncent le gel des salaires dans la fonction publique. Les cortèges s’étendent de Marseille à Lille, en passant par Paris, Lyon et Nantes.
Cette mobilisation sociale affaiblit encore un exécutif déjà fragile. À l’Assemblée, les oppositions s’en emparent. Le Rassemblement national réclame une dissolution immédiate du Parlement. Les écologistes dénoncent un « immobilisme coupable ». Quant au Parti socialiste, il appelle à un plan d’urgence contre la pauvreté et le coût de la vie. Lecornu, isolé, tente de temporiser, mais les rapports de force se durcissent.
Dans le même temps, l’économie française montre des signes d’essoufflement. L’agence Fitch abaisse la note de la France de AA- à A+, soulignant le poids de la dette publique, désormais supérieure à 113 % du PIB. Ces signaux économiques négatifs viennent ternir davantage le bilan du nouveau gouvernement, perçu comme impuissant face à la crise.
Un gouvernement éphémère, symbole d’un système à bout de souffle
Le 6 octobre, Sébastien Lecornu remet sa démission à Emmanuel Macron. Son gouvernement n’aura ni présenté de loi majeure, ni tenu de déclaration de politique générale. Une page se tourne avant même d’avoir été écrite. Cette chute express, après moins d’un mois d’exercice, illustre les limites d’un système institutionnel mis sous tension.
La Cinquième République, conçue pour garantir la stabilité, semble aujourd’hui prisonnière d’un morcellement politique inédit. Entre une majorité relative, une opposition éclatée et une société en défiance, la mécanique du pouvoir s’enraye. La succession rapide de gouvernements crée un sentiment d’usure dans l’opinion publique. Les Français peinent à suivre les changements de cap, et la confiance dans la parole politique s’érode encore un peu plus.
Emmanuel Macron, affaibli par cette série d’échecs, se retrouve face à une équation délicate : recomposer un exécutif crédible sans déclencher de nouvelles tensions. Les scénarios d’une dissolution de l’Assemblée nationale refont surface. Certains y voient la seule issue possible pour restaurer une légitimité démocratique. D’autres redoutent au contraire un nouveau séisme électoral, qui profiterait aux partis extrêmes.
Une incertitude politique durable
À l’heure où la France s’interroge sur son avenir politique, la crise du gouvernement Lecornu apparaît comme un révélateur. Elle met en lumière la difficulté à gouverner un pays traversé par des fractures sociales, économiques et territoriales profondes. Les institutions résistent, mais la confiance vacille.
Le court passage de Lecornu à Matignon restera comme un épisode symptomatique d’un pouvoir en quête de sens et de cohérence. Entre pression parlementaire, colère sociale et fatigue institutionnelle, la France vit une période charnière. L’histoire politique récente retiendra sans doute cette séquence comme celle où le pouvoir central a perdu une partie de sa stabilité au profit d’un climat d’improvisation permanente.
Dans ce contexte, le défi du prochain gouvernement sera immense : rétablir la confiance sans attiser la colère, reconstruire des alliances sans renier les engagements, et prouver que la politique française peut encore se conjuguer avec clarté, cohésion et courage.