« Commencer à exécuter une action, en général longue ou complexe ». C’est par cette phrase que le Larousse définit le verbe entreprendre. Dans le contexte de la start-up nation et des lumières braquées sur les entreprises à succès du monde contemporain, ce terme ne vit presque plus que par son acception « entrepreneuriale » au sens de la création d’une entreprise.
Plus qu’un simple business
Or, entreprendre n’est pas l’apanage des créateurs et créatrices d’entreprises. Il définit aussi un état d’esprit, une attitude que toutes et tous peuvent adopter face aux défis du monde moderne. Avant tout, entreprendre est une dynamique. C’est cette signification, plus large, moins circonscrite, qui nous intéresse ici.
Quelque part entre l’inventeur et le spectateur, entre celui qui « subit » le monde et celui qui s’en écarte, l’entrepreneur, au sens le plus large du terme, est en perpétuel mouvement. Il en est d’ailleurs souvent à l’initiative. Hybride, agile, conscient et inconscient à la fois, il évolue en permanence sur la fine ligne qui lui permet d’observer le monde dans lequel il vit, d’en analyser les opportunités et les limites, d’en faire la synthèse et de lui proposer une variation génératrice de progrès.
La dynamique d’entreprendre
La dynamique d’entreprendre, c’est le mouvement qui résume tout cela à la fois. L’analytique observation et le dévorant enthousiasme, la conscience du passé et la perspective de l’avenir, l’infini imaginaire et le froid pragmatisme.
Optimisme en 3D
Pour entreprendre, il faut faire un constat. Le constat d’un manque, que l’on se sent capable de combler, et dont on pense que le marché est susceptible de l’accepter. L’entreprise de quelque chose, de quoi que ce soit d’ailleurs, est donc l’espace de convergence de trois formes d’optimisme.
L’optimisme introspectif est le mécanisme par lequel l’entrepreneur est convaincu du bien-fondé de sa solution. C’est évidemment la base, l’élément sine qua non de la démarche entrepreneuriale. Comment pourrais-je proposer une transformation du présent avec une solution dont je suis l’initiateur sans être convaincu de sa pertinence ?
L’optimisme contextuel, c’est la conviction de l’adéquation entre le problème observé et la solution offerte. La confiance dans l’acceptation par le marché cible, quel qu’il soit, de la proposition de valeur qui perturbe en mieux ses habitudes. Comment la dynamique d’entreprendre pourrait-elle s’exprimer sans une application tangible de ma solution pour le marché auquel j’envisage de la proposer ?
L’optimisme global, enfin, revient à envisager qu’aucun élément macro ne pourra perturber le contexte d’application de ma solution. Ce n’est pas la manifestation d’un optimisme béat, cela ne revient pas à penser que tout ira toujours bien dans le meilleur des mondes, mais simplement que l’environnement futur dans lequel ma démarche s’inscrit est suffisamment durable, suffisamment ouvert ou suffisamment détraqué pour accueillir ma proposition.
Celui qui entreprend ne peut être aveugle, puisqu’il articule en permanence la solution à son contexte, le présent avec l’avenir, souvent en se servant des enseignements du passé. La dynamique d’entreprendre se base donc sur un trio d’optimismes appliqués, qui se conjuguent toujours avec une forme de froide pensée. Une illustration de la fameuse phrase attribuée à Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».
Instinct vaut mieux que deux tu l’auras
La dynamique d’entreprendre se situe à la croisée des chemins de la pensée et de l’action. Elle se retrouve dans les deux, ne peut fonctionner que si elle est à la fois psychique et tangible. Mais elle démarre forcément par un instinct. L’entrepreneur se définit par sa capacité à s’affranchir de certitudes, alliée à celle à faire du doute et de la remise en question une source d’amélioration. L’instinct, c’est l’aptitude à se projeter, autant que la capacité d’abstraction. C’est la conscience du contexte sans la lourdeur de ses contraintes. C’est voir dans l’inconnu de demain un espace de liberté, de création… d’entreprise.
Autre exemple d’une notion propre à la dynamique d’entreprendre, l’anglicisme en vogue, la sérendipité. Car l’instinct n’est pas qu’une intuition née du néant. C’est aussi savoir saisir d’inopinées opportunités pour développer une idée. L’instinct n’est rien sans la faculté à l’exploiter, cette faculté à l’exploiter n’est rien sans l’instinct. « Le hasard ne favorise que les esprits préparés » disait Louis Pasteur.
Sans cette capacité d’exploitation de l’imprévu, Percy Spencer, en 1947, n’aurait été qu’agacé par cette friandise fondue dans sa poche. Il n’aurait pas cherché l’explication, donc pas trouvé la corrélation entre les ondes émises par les radars d’avion qu’il participait à construire… et le micro-ondes, qui n’existerait peut-être pas aujourd’hui. Avouez que ce serait quand même dommage, non ?
IA et instinct : une alliance improbable ?
Dans un temps où la rationalité est la clé affichée de la réussite, où tout est calculé, mesuré, quantifié, et où l’IA gagne des parts du marché de la pensée et de l’esprit, l’instinct demeure pourtant bien vivant. Oui, l’instinct, cette forme d’intelligence qui met l’intuition sur un piédestal, et qu’aucune IA ne diminue, est précieux.
Aussi puissante soit-elle, l’IA pourra-t-elle jamais se substituer à ce qui est au cœur de la dynamique d’entreprendre : l’instinct, l’audace, la créativité ? Cette étincelle si particulière qui pousse certains à voir des opportunités là où d’autres ne perçoivent que des problèmes, à rêver le monde de demain, et à tout mettre en œuvre pour le façonner. Un instinct résolument humain, qui risque d’échapper pendant longtemps à la saisie des algorithmes.
Pour continuer d’être optimiste, on peut considérer que là où il n’y a pas de chevauchement, il y a d’infinies possibilités de complémentarité : dans un monde idéal, l’IA et l’instinct associés pourraient bien représenter le couple parfait, le combo idéal auquel rien ne saurait résister. Parallèlement à l’IA, continuons donc à cultiver l’instinct. Du reste, l’instinct artificiel n’existe pas… encore ?
Ainsi, la dynamique d’entreprendre n’est pas une recette miraculeuse, ce n’est pas un processus, mais un ensemble de facteurs se résumant à un état d’esprit plus qu’à une action. C’est un mouvement, une réponse à une problématique identifiée, une solution apportée à un besoin existant ou latent, une propension à imaginer le réel et à réaliser l’imaginaire. Entreprendre est une dynamique, la dynamique est une entreprise.