par | 3 Jan 2025 à 10:01

Le monde pour horizon : quand la BnF raconte l’histoire globale

Il y a des endroits où l’Histoire ne fait pas que se raconter, elle se respire. La Bibliothèque nationale de France, en plein cœur du site Richelieu, devient ce lieu où le passé et le présent s’entrechoquent dans un dialogue fascinant. Avec son exposition phare sur les collections extra-européennes, la galerie Mazarin fait plus qu’un simple étalage de reliques : elle décortique, elle interroge, elle met en lumière. Et, franchement, ça ne pourrait pas mieux tomber. À une époque où l’on questionne le passé colonial, les flux migratoires et les échanges culturels, cette exposition arrive comme une claque bien méritée pour nous rappeler que l’histoire de France ne s’écrit pas seule. Barthélémy Toguo, artiste camerounais au regard aiguisé, s’y invite avec son œuvre Caring for memory, une sculpture qui murmure doucement : "N’oubliez pas." Mais, spoiler alert : elle crie aussi.
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Une bibliothèque ou un miroir déformant de l’histoire ?

Depuis 2022, la BnF ne se contente plus de conserver ses trésors, elle les exhibe. Mais attention, ce n’est pas juste pour nous faire baver sur des manuscrits poussiéreux. Non, ici, on explore. Le message est clair : Paris ne serait pas Paris sans le reste du monde. La vitrine qui juxtapose l’imprimerie asiatique, précurseure dès le VIIe siècle, et la version européenne du XVe siècle, c’est un doigt d’honneur discret au mythe de la suprématie occidentale.

Et puis il y a les vitrines qui racontent les échanges avec l’Empire ottoman. Traductions de textes sacrés, migrations de motifs artistiques… Mais soyons honnêtes : ces échanges ne se sont pas faits dans une ambiance bon enfant. Les croisades ne sont jamais bien loin, et l’on sent cette tension palpable dans chaque relique exposée. L’Amérique ? Présentée à travers des manuscrits mexicains précieusement acquis et montrant les premiers contacts avec les Européens, entre fascination et pillage.

Barthélémy Toguo : l’art pour exhumer les mémoires

Quand on parle de dialogue culturel, Barthélémy Toguo entre dans la pièce et la transforme en tribunal. Avec Caring for memory, il nous plonge dans la mémoire collective des migrations, des exils, et des identités éclatées. Son œuvre, en bronze, installée dans le jardin Vivienne en janvier 2025, est un monument à tout ce qu’on préfère oublier. Un doigt pointé sur l’histoire que la France aime raconter — souvent expurgée de ses aspérités.

Cet artiste camerounais, habitué à jongler entre art et politique, rappelle que les collections extra-européennes de la BnF ne sont pas de simples curiosités. Elles sont des témoins, parfois des accusateurs. Une manière subtile de poser cette question qui pique : comment ces œuvres sont-elles arrivées ici, déjà ?

Entre admiration et pillage : l’ambiguïté des collections

Soyons clairs : l’égyptomanie du XIXe siècle et l’obsession pour les chinoiseries ou le japonisme ne sont pas nées d’un amour pur et innocent pour d’autres cultures. Il y a cette arrière-pensée permanente : la fascination exotique sert souvent à justifier la domination. Ces vitrines, aussi belles soient-elles, racontent une histoire d’appropriation.

Le Maghreb, lui, est figé dans des visions orientalistes où les clichés s’empilent comme des babouches au souk : femmes voilées langoureuses, oasis féériques… Et pourtant, cette même région a nourri la modernité européenne. Ironique, non ? L’art africain, quant à lui, a alimenté l’avant-garde du XXe siècle, du cubisme de Picasso aux expérimentations surréalistes. Mais qui, à l’époque, rendait hommage aux peuples créateurs de ces œuvres ?

Une réflexion nécessaire sur le rôle de la France

En parcourant cette exposition, impossible de ne pas voir à quel point la France a toujours été traversée par le monde. Les échanges ne sont pas à sens unique, et c’est peut-être là la grande leçon de la galerie Mazarin. Oui, la France a collecté — parfois volé —, mais elle a aussi été transformée en retour.

Le rôle de la France dans ces échanges est multiple : colonisateur, émancipateur, admirateur, pillard. La complexité de cette relation est incarnée dans chaque objet, chaque vitrine. C’est une leçon d’humilité déguisée en invitation à comprendre le monde tel qu’il est — un espace de croisements, de luttes et de créations partagées.

Quand on sort de cette exposition, le cœur un peu lourd et la tête pleine, on se dit que l’Histoire n’a pas fini de nous secouer. Et c’est peut-être bien. Parce qu’au fond, le rôle d’une nation, comme celui d’un individu, ce n’est pas de s’endormir sur ses réussites, mais de regarder ses échecs en face. Et si une sculpture, une vitrine ou un manuscrit peuvent nous y aider, alors, franchement, on devrait tous s’y précipiter.

Tom, rédacteur passionné chez ANousParis 🖋️. Je couvre toute l'actu parisienne - culture, événements, et tendances de la Ville Lumière! 🗼