Un film coup de poing, miroir d’une époque
Sorti en 1995, La Haine de Mathieu Kassovitz n’est pas juste un chef-d’œuvre. C’est le doigt d’honneur d’une génération, une génération qui, à l’époque, était déjà coincée entre la violence policière et l’abandon politique. On suit Vinz, Hubert et Saïd, trois jeunes de banlieue qui tentent de survivre dans un environnement gangrené par l’injustice sociale et le désespoir. Et ce n’est pas juste une fiction : c’est une réalité encore palpable aujourd’hui. En 2024, la résonance est plus forte que jamais. On le voit : les bavures policières sont devenues monnaie courante et les banlieues françaises sont toujours ces zones marginalisées, sous tension.
Ce film n’a pas pris une ride parce qu’il tape là où ça fait mal. Et c’est bien cette douleur que le rap français, dans sa version la plus brute, la plus crue, continue de dénoncer. Kery James, NTM, ou même PNL, ils rappent cette haine, celle qui grandit dans les tripes et explose dans les couplets. Chaque punchline est une balle, chaque morceau une révolte. Si les films de banlieue sont rares, le rap, lui, est toujours là pour prendre le relais, pour transformer cette colère en art.
Le lien intime entre La Haine et le rap
Si on devait attribuer une BO officieuse à La Haine, ce serait définitivement du rap. Pourquoi ? Parce que ce film parle de la rue, des quartiers, des laissés-pour-compte. Tout ce que le rap incarne. En fait, la caméra de Kassovitz a capturé ce que les rappeurs n’ont cessé de dénoncer : la violence systémique, le racisme institutionnalisé, et cette foutue spirale de la haine.
Prenons NTM, par exemple. Le duo JoeyStarr et Kool Shen balance des vérités crues, sans fioritures, sur l’état des banlieues dans les années 90. Ça colle parfaitement à l’énergie de La Haine. Le film et leur musique se nourrissent mutuellement. D’ailleurs, JoeyStarr aurait pu être l’un des personnages du film tant sa voix est le prolongement naturel de cette atmosphère suffocante. Ses cris sur scène sont les mêmes que ceux qu’on entend dans les quartiers où la tension ne redescend jamais.
Puis, plus récemment, Kery James reprend le flambeau, incarnant la figure de l’intellectuel enragé, celui qui utilise le rap pour dénoncer la fracture sociale qui gangrène la France. Dans « Banlieusards », il lâche : « On n’est pas condamnés à l’échec », un écho direct à la philosophie d’Hubert dans le film, celui qui refuse de baisser les bras face à une société qui l’a déjà jugé.
La génération post-La Haine, entre héritage et modernité
Ce qui est fou, c’est que même la nouvelle génération de rappeurs, les PNL, Dinos, SCH, porte toujours cette haine en elle. Mais attention, ce n’est plus tout à fait la même. Elle est plus douce, plus introvertie. Elle n’explose pas dans les rues, mais dans les têtes, sur les plateformes de streaming. Le malaise est toujours là, mais il se chante désormais à coups d’autotune, avec des beats qui résonnent comme des battements de cœur sous l’emprise de l’angoisse.
PNL, par exemple, dans « Le Monde Chico », c’est un peu la suite spirituelle de La Haine. Eux aussi parlent de cette errance dans un monde qui ne veut pas d’eux. Mais la rage s’est transformée en mélancolie. Les deux frères Ademo et N.O.S ont troqué la violence physique pour une violence intérieure, mais le message reste le même : ce monde ne nous appartient pas, et pourtant on y est coincés.
Ce qu’il reste de la haine aujourd’hui
Si tu tapes « bavure policière » dans Google, tu risques d’être noyé sous une avalanche de résultats. Ça ne s’est pas arrangé depuis les années 90, au contraire. La fracture sociale, les inégalités, l’injustice… Tout est là, intact, ou presque. Et c’est là que La Haine reste plus pertinent que jamais. Le film n’a pas été fait pour être une capsule du passé. Il est devenu une putain de prophétie auto-réalisatrice. On attendait que les choses changent, mais à part un ou deux discours politiques bien huilés, rien n’a bougé. C’est même pire.
Et si le rap continue de nous parler avec la même intensité que ce film, c’est parce qu’il est l’un des rares espaces où la vérité brute peut encore s’exprimer. Kassovitz avait tout capté. Et cette génération d’artistes n’a pas fini de nous rappeler qu’on n’a rien appris. Mais tant qu’ils seront là pour cracher leurs lyrics au visage de cette société hypocrite, il y aura toujours une lueur d’espoir, même petite.
En 2024, La Haine est toujours là, dans nos têtes, dans nos cœurs, et surtout dans nos sons. Et tant que la réalité sera ce qu’elle est, on continuera d’avoir besoin de cette voix-là.