Quand le cinéma devient une vitrine de luxe
Il faut reconnaître que Renzo Piano a fait des merveilles. Le Pathé Palace, véritable écrin haussmannien, éblouit dès la façade. On parle ici d’une vitrine qui n’aurait pas dépareillé dans les plus beaux quartiers de la haute joaillerie parisienne. Une fois à l’intérieur, on en prend plein les yeux : marbre à gogo, double escalier digne des plus grands hôtels particuliers, et cette verrière immense qui donne l’impression de plonger dans un décor d’opéra. Quant au bar, réinventé par Jacques Grange, il est une ode à l’Art déco.
C’est beau, oui, mais est-ce que ça sert le cinéma ou juste l’image d’une certaine élite qui vient là plus pour être vue que pour voir un film ? Parce qu’à ce prix-là, il ne fait aucun doute que la plupart des spectateurs seront là pour se faire une expérience, et non pas simplement pour découvrir le dernier chef-d’œuvre à l’affiche.
Premiumisation, ou comment l’industrie du cinéma court-circuite ses propres fidèles
La grande nouveauté ici, c’est la réduction drastique du nombre de sièges. De 2 200 places, on passe à 854, tous en cuir, inclinables, chauffants. Oui, on parle bien de sièges chauffants pour aller voir un film. Le genre de gadget qui fait sourire, un peu comme ces cafetières de luxe qu’on achète un jour et qu’on finit par utiliser deux fois par an. Une exagération du confort qui, soyons honnêtes, ne change pas fondamentalement l’expérience cinématographique.
Et à ce tarif, on s’interroge : combien de spectateurs, en dehors des privilégiés, pourront se permettre de revenir régulièrement ? L’objectif affiché de Pathé est clair : séduire une clientèle aisée, en quête d’un service premium – service de conciergerie inclus. On imagine déjà ces mêmes clients se faire livrer leurs popcorns en pleine séance ou commander un taxi directement depuis leur siège, entre deux films d’auteur qu’ils oublieront dès le lendemain.
C’est là que le bât blesse : cette premiumisation à outrance, si elle en met plein la vue sur le moment, s’éloigne des valeurs mêmes du cinéma, un art populaire, ouvert à tous. Aujourd’hui, avec des abonnements SVOD accessibles pour quelques euros, difficile de justifier un tel écart. On a l’impression d’assister à la transformation d’un temple du cinéma en un parc d’attractions pour riches en mal de sensations.
Cinéma ou show-room ? L’élite culturelle en roue libre
L’ironie, c’est que cette ouverture tombe à un moment où le cinéma, en tant qu’industrie, cherche désespérément à reconquérir un public qui déserte les salles au profit des plateformes comme Netflix ou Disney+. Pathé semble l’avoir oublié en sortant le grand jeu. À 25 € le billet, on est bien loin des séances à 4 € du Ciné Day ou des abonnements illimités qui font le bonheur des cinéphiles. Et soyons francs : si l’expérience visuelle et sonore du Pathé Palace est sans conteste exceptionnelle (écrans Onyx LED, son Dolby Atmos, projo Dolby Vision), on ne peut s’empêcher de se demander : est-ce que tout cela est vraiment nécessaire pour apprécier un bon film ?
Là où Pathé Palace se trompe, c’est qu’il mise tout sur la forme, en oubliant que le fond, c’est le film lui-même. Peu importe l’éclat de la façade ou la moelleuse inclinaison du fauteuil, si la programmation est aussi fade qu’un café de gare, l’expérience n’aura que peu d’intérêt. En misant sur un élitisme ostentatoire, Pathé Palace risque bien de se couper de la réalité et de passer à côté de ce qui fait du cinéma un art essentiel : son accessibilité à tous.
En somme : une dérive qui coûte cher
Alors, faut-il aller au Pathé Palace ? Certainement, au moins une fois, pour l’expérience. Mais pour la plupart d’entre nous, ce sera sans doute une sortie unique, une sorte de visite guidée d’un musée de l’excès, où le film devient secondaire face à la débauche de luxe. Et au fond, c’est peut-être là le plus grand malheur de ce projet : avoir oublié que le cinéma n’a pas besoin de tant d’artifices pour rester magique.