Le 5 juin 2025, Luiz Inácio Lula da Silva débarque à Paris dans son rôle de président brésilien pour une visite d’État chargée de piquant. L’objet du défi : convaincre Emmanuel Macron de donner son feu vert à l’énigmatique accord commercial UE-Mercosur, négocié depuis 1999 et rouvert à de multiples débats depuis sa finalisation technique en 2019. Or la France, pivot agricole de l’Union européenne, se dresse en rempart face à cette expansion sud-américaine, prête à saborder un pacte jugé “trop dangereux” pour ses éleveurs et son modèle environnemental. Entre tension diplomatique et enjeux économiques, ce week-end à l’Élysée promet un face-à-face bouillant, reflet d’une Europe tiraillée entre ouverture commerciale et protection des filières locales.
L’invitation historique et le contexte diplomatique
Il n’y a rien d’anodin à ce que Lula soit le premier président brésilien reçu en visite d’État à Paris depuis 2012. Le geste symbolique, lancé par Macron, intervient au moment où le Brésil assume la présidence tournante du Mercosur pour le second semestre 2025. Dans une conférence de presse à l’Élysée, Lula a martelé : « Ouvrez un petit peu votre cœur pour conclure cet accord ». Derrière cette posture bienveillante se cache la volonté ferme du géant sud-américain d’ouvrir des marchés juteux pour ses exportations de soja, viandes et sucre. Pour l’UE, en retour, c’est le potentiel d’exporter davantage de machines, d’automobiles et de spiritueux. Mais la France, soutenue par une vaste coalition d’organisations agricoles et de certains syndicats, redoute une arrivée massive de viande à bas coût, susceptible d’écraser ses petits éleveurs nationaux.
Les enjeux économiques derrière l’accord
À l’échelle de l’UE, le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) représente un bloc de 780 millions d’habitants et un PIB combiné de près de 4 000 milliards de dollars. Ce marché colossal attire, car il offre la perspective de vendre plus de voitures françaises et allemandes, de renforcer les exportations de machines-outils et d’écouler davantage de champagnes et de whiskies. La contrepartie : laisser entrer dans l’UE des volumes substantiels de bœuf brésilien, de sucre de canne et de soja transgénique — produits jugés moins respectueux des normes éthiques, environnementales et sanitaires européennes. En période de guerre commerciale exacerbée (États-Unis vs Chine), l’UE veut envoyer un message de multilatéralisme, mais la France, fer de lance des oppositions, craint de sacrifier ses normes rigoristes et son modèle agricole au profit d’une croissance à court terme.
La France campée sur ses positions
Les parlementaires français ont organisé, la veille de l’arrivée de Lula, une audition réunissant plusieurs filières agricoles à l’Assemblée nationale. Jean-François Guihard, patron de l’interprofession du bétail (Interbev), a vertement appelé Macron à être « extrêmement ferme » face à Lula, estimant que cet accord « n’est pas possible » dans sa version actuelle. Le fer de lance de cette opposition reste la crainte d’une concurrence déloyale capable de détruire des dizaines de milliers de petites exploitations françaises, déjà fragilisées par la volatilité des prix. Pour ma part, je trouve savoureux cet affrontement : un pays qui vante haut et fort sa gastronomie et son terroir s’apprêterait à sacrifier l’un de ses piliers pour un supplément de PIB au centime près. L’ironie ultime ? Devenir champion du « Paris bobo meets le bœuf brésilien à bas prix ».
Face au protectionnisme, l’appel de Lula
Lula, ancien syndicaliste et figure emblématique de la gauche latino-américaine, a toujours joué la carte du dialogue progressiste tout en ne reniant pas ses racines ouvrières. À Paris, son discours peinait à masquer un fond de désespoir économique : il veut ce deal au plus vite pour dynamiser l’industrie brésilienne, compenser la baisse des achats chinois et préparer la COP30, que le Brésil organise en novembre 2025. L’homme a insisté sur le vent de protectionnisme tarifaire soufflant chez Trump et dans certaines capitales européennes, arguant que l’accord Mercosur-UE envoie un signe fort en faveur du commerce libre ». Je n’ai pu m’empêcher de sourire devant sa rhétorique : faire passer l’Europe de la nostalgie jacobine à l’euphorie consumériste, tout en brandissant la menace d’un repli sur soi, c’est diablement habile, et diablement cynique.
Impacts climatiques et agricoles
Derrière le jargon des négociations intergouvernementales, ce pacte charrie une bombe climatique : le défrichement de l’Amazonie pour produire du soja et du bœuf . Or, la France, fer de lance du combat pour la transition écologique, ne veut pas offrir un blanc-seing aux producteurs brésiliens qui abattent des forêts primaires sans vergogne. Selon l’Agence France-Presse, la négociation initiale a traîné pendant 25 ans avant d’aboutir à une version technique en 2019, jamais ratifiée faute d’aval des parlements nationaux. Les Français, particulièrement sensibles au label bio et aux normes environnementales, brandissent l’argument que la viande importée ne respecte pas leurs standards — et ont raison. Pour illustrer, je me rappelle d’une enquête d’un organe indépendant prouvant que la déforestation s’est accélérée de 30 % en Amazonie ces dernières années. Si nous voulons éviter que nos enfants respirent du CO₂ pour nourrir nos dîners franchouillards, il faut se poser la question : l’UE est-elle prête à mettre ses principes à la poubelle pour quelques ventes de plus ?
Paris, carrefour des tensions mondiales
Au-delà du Mercosur, la visite de Lula sert d’écho à d’autres enjeux : le conflit israélo-palestinien, les tensions en Ukraine, le changement climatique. Lors de la conférence de presse, Lula a de nouveau accusé le gouvernement israélien d’un « **génocide prémédité » » à Gaza, fustigeant “des attaques ciblant femmes et enfants”. Cette prise de position radicale ne brille pas par sa nuance, mais elle résonne dans une France déjà ébranlée par ses débats sur la reconnaissance de l’État palestinien, prévue lors de la conférence ONU France-Arabie saoudite du 17 juin 2025. De son côté, Macron, sous pression, a insisté pour éviter “l’équidistance” face à la crise ukrainienne, soulignant que le Brésil pourrait jouer un rôle de médiateur. Bref, Paris devient pour quelques heures le théâtre d’une diplomatie mondiale, où s’entrechoquent visions géopolitiques et intérêts économiques.
J’ai toujours pensé que la diplomatie ressemble à une partie d’échecs où chaque pion a son prix. Personne ne joue pour des idéaux purs comme la paix universelle — c’est illusoire. Lula vient quémander un deal concret pour soutenir son industrie et son budget social, tandis que Macron doit ménager ses électeurs ruraux sans aliéner les alliés germano-européens. Dans les salons feutrés de l’Élysée, on parle d’horaires de tables rondes, de conférences obscures, de communiqués finement ciselés, mais sur le terrain, c’est la survie économique de milliers de petits fermiers qui se joue. J’y vois un jeu de dupes : on clame la défense de la planète, mais on ne peut se priver de ses ressources bon marché sans risquer un ralentissement économique.
Au cœur de ce feu croisé, chacun brandit son argument d’autorité : la France, “protectrice” du climat et du terroir ; le Brésil, “défenseur” du multilatéralisme et de l’intégration sud-américaine. Le spectacle est jubilatoire pour ceux qui aiment voir les grands de ce monde s’agiter autour d’une table. Pour nous, néophytes hyper-connectés, reste à suivre le live-tweet des discussions et espérer que cette saga aboutisse à un compromis moins humiliant qu’un simple marché de dupe. Ce que je retiens de personnel : Paris, ville romantique, sert de décor à une épreuve de force où l’on négocie la bouffe qu’on mettra demain dans son assiette. Une ironie cruelle pour une capitale qui se prend pour la “patrie des droits de l’homme”.
Finalement, qu’importe si Macron cède un peu de sa fierté hexagonale pour obtenir un bonus industriel ; l’essentiel sera de préserver un équilibre entre commerce, environnement et justice sociale. Lula repartira à Brasilia avec un carton de bonnes intentions, et peut-être un accord finalisé en décembre 2025, c’est l’objectif annoncé par António Costa, président du Conseil européen, lors d’une visite à Brasilia le 29 mai 2025. De notre côté, on aimera ou pas cette affaire, mais elle nous rappelle que la politique internationale ne se joue jamais qu’entre salons feutrés : elle a un impact direct sur nos assiettes, nos terres agricoles et notre climat. Alors, la prochaine fois que vous siroterez un verre de vin en terrasse, pensez-y : derrière ce moment de détente, se cache une bataille bien plus vaste sur le futur de notre planète et de nos économies.