Entre rayonnement sacré et politique très terrestre
Fils d’une famille parisienne « catho-mais-pas-pratiquante » (le catéchisme à la cool), André Armand Vingt-Trois voit le jour le 7 novembre 1942, zone occupée, ambiance déluge de bombes. Ordonné prêtre en 1969, il grimpe ensuite l’échelle épiscopale : évêque auxiliaire de Paris, archevêque de Tours en 1999, puis patron du diocèse de Paris de 2005 à 2017 après le flamboyant Jean-Marie Lustiger. Au Vatican, Benoît XVI lui file sa barrette de cardinal en 2007.
Si l’Église cherchait une tête bien faite plutôt qu’une rock-star, elle a été servie : Vingt-Trois, c’était la discipline germanopratine, sourire en coin, organisation militaire, un Jean-Pierre Elkabach en soutane.
De l’autel aux manifs : le prélat contre le progrès
Là où le prélat se fait vraiment remarquer, c’est en 2012-2013, durant la guérilla des poussettes et des drapeaux bleu-blanc-rose. La Manif pour tous s’impose, et Vingt-Trois devient le sniper théologique des plateaux télé, hurlant à l’« effondrement de nos sociétés » si deux mecs osent dire « oui » devant Monsieur le Maire.
Faut-il y voir une nostalgie d’une France gauloise en galoches ? Pas sûr, mais le cardinal — plus vieux sage que troll — balance quand même des punchlines sur la « supercherie » du mariage pour tous, se payant le luxe d’être à la fois héros des conservateurs et cauchemar des jeunes urbains qui campaient déjà dans les queues du 129, rue de Grenelle pour un PACS pas encore ringard.
Un corps trahi par un syndrome vicieux
Ironie cruelle : le croisé anti-modernité finit cloué au lit par la modernité biologique. En 2017, diagnostic : syndrome de Guillain-Barré, cette saleté auto-immune qui débranche vos nerfs comme un stagiaire maladroit arrachant le câble HDMI. Hospitalisation longue, rééducation pénible, rideau sur la vie publique. Certains y verront le classique « Dieu écrit droit avec des lignes courbes », d’autres un banal coup du sort. Toujours est-il que la maladie écourte le marathon pastoral et le pousse à la retraite anticipée quelques mois plus tard.
Les cloches, la ville et nous autres blasés
À 17 h pétantes, le bourdon de Notre-Dame enverra 82 vibrations traverser les échafaudages encore croustillants de cendres de 2019, pendant que les sonneries de quartier feront danser les pigeons sur les toits de zinc. Le diocèse a aussi prévu une messe à 18 h, parce qu’il faut bien rythmer le deuil — et caser le timing pour les stories Insta avant l’apéro.
Soyons honnêtes : les plus jeunes lèveront à peine un sourcil, trop occupés à scroller entre deux reels de techno-parade annulée. Pourtant, ces 82 coups, c’est un rappel : la ville vit toujours au tempo d’une institution qu’on croyait reléguée aux cartes postales.
Pourquoi ça nous regarde encore ?
Parce que Vingt-Trois, c’était le pont entre le vieux Paris de Bossuet et l’ère TikTok. Il incarnait une Église sous morphine numérique : seule institution à tweeter des homélies tout en condamnant l’emoji aubergine. Son départ, c’est un poste de garde éteint sur le périph’ : vous n’y faisiez plus gaffe, mais il stabilisait le trafic.
Faut-il pleurer ? Libre à chacun. Mais impossible de nier la puissance symbolique : 82 coups de cloche résonnant dans une ville où les rave-trucks outragent déjà les voisins. Entre deux nuits caniculaires et la future élection municipale façon Hunger Games, Paris se rappelle soudain qu’elle abrite plus qu’un rooftop par arrondissement : une histoire, un porte-voix de pierre, une mémoire sonore.
Et moi, planqué derrière mon clavier, je savoure cette collision : un archevêque réac disparaît pendant qu’un Paris branché se demande encore s’il préfère le brunch végane ou le cosmique kombucha. Que vous soyez croyant, athée ou abonné au culte du like, tendez l’oreille à 17 h. Ces 82 pulsations ne sont pas seulement un adieu, mais un indicateur sonore que la capitale respire, râle, et malgré tous ses filtres, reste mortellement authentique.