La « victoire contre le wokisme » : un discours de terrain miné
Les réactions, vous l’aurez deviné, fusent. Eric Zemmour, champion de la croisade anti-woke, se précipite pour célébrer le grand retour du « Président Trump ». Il tweete, il poste, il nous le hurle en 280 caractères : Trump a triomphé, il s’est relevé, lui qu’on croyait KO. Éric Ciotti emboîte le pas, parlant d’une « défaite des wokistes » (ah, le vilain mot qui fait trembler les réunions de famille) et d’un « choix de civilisation » contre la « déconstruction de l’identité ». L’air de rien, ils transforment cette victoire en une grande leçon pour l’Europe et surtout, pour la France.
Alors, Trump, c’est le bon vieil espoir pour la paix selon Ciotti. Une vision pour l’Europe, un « wake-up call » contre les effarouchés du wokisme et les apôtres de la décroissance. En gros, si tu fais partie de cette droite conservatrice bien comme il faut, l’Amérique de Trump, c’est comme un Disney pour adultes : on a les gentils, les méchants, et un happy end avec un cowboy en chapeau rouge.
Derrière les tweets : une quête d’identité ou un miroir aux alouettes ?
Mais au fond, qu’est-ce qu’ils célèbrent vraiment ? Trump, son histoire, ce n’est pas que celle d’un homme d’affaires devenu président – c’est une fable du self-made man au teint orange qui émerge d’une époque bien fracturée. En France, cette victoire symbolique sert à rallumer un brasier idéologique. Nos politiques cherchent-ils vraiment à nous convaincre que l’avenir passe par des tweets incendiaires et des polémiques contre les « wokistes » ? C’est devenu un jeu de miroir aux alouettes : ils crient à l’identité, à la civilisation, mais quelle société veulent-ils réellement pour nous ?
S’affirmer anti-woke en France, c’est un peu la nouvelle mode pour se faire une place dans les talk-shows. Ce « choix de civilisation » que prônent Zemmour et Ciotti, c’est surtout une version remixée de la nostalgie d’une époque révolue, où l’identité n’avait pas encore été « déconstruite ». Comme si, en applaudissant Trump, ils croyaient recoller les morceaux d’une France éclatée, retrouver cette « grandeur » qui fait vibrer leurs discours.
Trump : un modèle importé ou un complexe d’infériorité ?
Ce qui est fascinant, c’est cette obsession française pour les leaders américains comme modèle. Depuis des décennies, de Gaulle mis à part, notre classe politique regarde Outre-Atlantique comme un petit frère veut imiter son aîné rebelle. Trump incarne cette brute charismatique, libre de dire et faire ce que bon lui semble. Alors, bien sûr, pour un certain nombre de figures françaises, s’aligner sur le modèle Trump, c’est espérer que cette même brutalité séduise ici.
Mais rappelons-le, la France, ce n’est pas l’Amérique. Dans notre paysage politique, l’attitude bling-bling de Trump semble davantage être une imitation décomplexée. Comme des ados un peu envieux, nos leaders de droite s’extasient devant l’Amérique des conflits de rue et des slogans chocs. À croire que l’élection américaine leur a offert l’occasion rêvée d’étaler leur propre vision : une France plus musclée, qui ne « plie pas » sous les vagues progressistes.
Élections américaines, jeu français
Au final, l’Amérique reste cette boîte de Pandore qui libère toutes sortes de courants en France. Zemmour et Ciotti nous vendent l’image d’un Trump en sauveur d’un monde qu’ils jugent trop moderne, trop tolérant, trop… humain ? Ils appellent à un réveil civilisationnel, une marche vers une Europe qui s’arme contre le wokisme et la « décroissance ». Mais ce que la France célèbre réellement, c’est moins Trump lui-même qu’un fantasme : celui d’une autorité forte et d’un rejet radical des courants progressistes.
En conclusion – enfin, disons plutôt en ultime coup de griffe – Trump a gagné, oui, mais en France, ce sont surtout ceux qui se battent contre leur propre ombre qui s’agitent. La droite française n’a pas besoin de Trump, elle a juste besoin d’une cause. Et le wokisme est un ennemi bien commode pour ceux qui veulent revendiquer un changement sans vraiment le définir. Alors, fêtons l’Amérique, si vous voulez, mais rappelons-nous que notre propre histoire se construit ici, sur un autre socle – plus complexe, plus nuancé – que des hashtags et des joutes transatlantiques.